Les quatre épées

Prologue : le chant des voyageurs

Au lointain, par-dessus les cimes

Apparaissent les tours jumelles

Comme deux rochers qui dominent

Le plein pays du haut du ciel.

Là, dans la cité fortifiée, 

Dorment des savoirs éternels.

Des gardes vous laissent entrer

Pour mieux admirer ces merveilles.

Le vénérable souverain 

Ne craint plus aucun ennemi

Il a écrasé de sa main

Ceux qui se levaient devant lui.

Lentement, on avance.

Nous longeons les murailles. 

On ressent la violence 

Des anciennes batailles. 

Ô cité millénaire 

Tes murailles de pierre

Nous offrent un sanctuaire !

Au sol encore gravé, 

A moitié effacé,

Des légendes passées.

Légendes ignorées 

Oubliées à jamais

Que l’on foule du pied. 

Chasseurs de trésors érudits,

Nous sommes ici aujourd’hui

Pour enrichir notre savoir

Sur quatre épées et leurs pouvoirs. 

La cérémonie

C’était il y a deux mille ans.

Un âge sombre où résonnaient

Des combats d’acier et de sang.

Un âge où les guerriers régnaient.

Autour, la magie ruisselait

Dans l’eau agitée des torrents, 

Sur les troncs verdis des forêts,

Dans la barbe des vieux errants.

Une magie douce et docile

Domptée par de sages gardiens.

Mais cet équilibre fragile

Ce soir, bientôt, va prendre fin.

Ce soir, mortellement touchée,

Une licorne vient mourir.

Le feu du volcan l’a blessée.

Elle s’éteint dans un soupir.

Autour de l’animal sans vie

Le silence a chassé le bruit.

Une sombre forêt grandit.

Avec elle s’étend la nuit.

Aussitôt, les seigneurs de guerre

Délaissent le temps d’une offrande

Les combats sanglants et leurs terres.

Au cœur des ténèbres ils se rendent.

Après la lente procession,

Ils plantent l’épée, s’agenouillent.

Les vents s’unissent à leur passion 

Sur le tombeau de la dépouille

Les cratères, augustes ténors,

Y ont brûlé leurs derniers feux.

Mais leurs voix murmurent encore

Leurs chants de soufre nauséeux.

Chaque souverain prosterné

Sent sur son crâne se poser

Une main paisible et glacée :

Le pardon d’un vieillard usé.

Des larmes surgissent aux yeux

De ces géants aux cœurs d’acier,

Barbares aux crimes odieux,

Falaises aux cuirs incendiés.

A chaque épée est fait le don

D’un fort pouvoir de la nature.

A l’une le chant des saisons,

A l’autre la force des murs,

La troisieme un feu qui protège,

La dernière le cours du temps.

Munies de ces forts sortilèges,

Les épées prennent à présent

Un patronyme irrévocable.

S’éloignent ces armes mortelles

De leurs origines coupables.

Leur fil s’adoucit de dentelles.

Les guerriers, êtres ambitieux,

S’élancent soudain pour reprendre

En main l’arsenal merveilleux

Et l’utiliser sans attendre.

Un éclair déchire la nuit.

Les assaillants sont foudroyés.

Puis le vent emporte sans bruit

Les cendres de leurs corps brûlés.

Ainsi s’achevait à minuit

L’avènement des quatre épées.

Goth et Garax

Des peuples marins, d’ile en ile,

Des paysans fouillant la terre,

Des chercheurs d’or aux doigts agiles,

De puissants rois, des dignitaires,

Chacun cherche à s’approprier

Quelque indice de contrebande.

Des hommes se tuent pour piller

Ce trésor devenu légende.

Les sorciers, les savants, les mages,

Déploient leurs talents érudits.

Aucun ne trouve le passage

Qui mène aux glaives interdits.

Puis les générations se suivent

Et la légende est oubliée

Dans les dédales des archives

Sous des parchemins effacés,

Dans la pierre du sol gravé 

De Goth, la cité millénaire. 

Mais ce matin, dans la cité,

Rugit la fureur d’un tonnerre.

Les murs de Goth couverts de glace

Tremblent d’effroi et de stupeur.

Le peuple accourt car sur la place

Oscille une étrange lueur.

« Je suis Garax, tonne la voix,

Et je vaincrai mon ennemi.

Tu es l’arme de mon combat,

Toi, force que j’ai nommée “Vie”,

Qui se déploie et se répand. 

C’est un bouclier invincible

Contre les destructions du temps.

Le temps, c’est l’arme de ma cible.

Pourtant cette lutte infernale

Ne semble pas pouvoir cesser.

L’équilibre des forces s’installe

Mais je vais enfin le briser.

La vie l’emporte sur le temps.

Et notre ennemi désarmé

En mon esclave repentant

Sera pour toujours transformé. »

Son bras tend alors une épée

Forgée depuis des millénaires,

La lame tranchante effilée 

Témoin d’un passé sanguinaire.

Un homme en saisit la poignée

Et la soulève libérant

Le pouvoir inédit d’éloigner

La mort et sauver les mourants.

Un autre homme, meurtri par les crocs

D’un loup affamé et puissant,

Dont la morsure broya les os, 

S’approche de lui en boitant.

Il vient vers l’épée lentement.

Son pas est près de défaillir.

Puis ses blessures en un instant 

Appartiennent aux souvenirs.

Une vieille femme s’avance

On peut voir sur sa peau les traces

D’une vie parsemée de souffrances

Et des douleurs qui la terrassent.

Les effets du temps disparaissent.

Elle retrouve par magie

L’éclat fécond de sa jeunesse

Et sa beauté évanouie.

La cité de Goth par le soir

Vit un miracle inattendu :

Sur la place, entre les remparts,

Le temps assassin a perdu.

Le seigneur et ses chevaliers

Par leurs serviteurs Informés 

Arrivent sur leurs destriers  

Pour s’emparer de cette épée.

“Ainsi munie de ce pouvoir

Notre armée sera invincible !”

Le roi ne tarde à percevoir

Son potentiel irrésistible.

« Pas un soldat ne tombera 

Aucun ne connaîtra la mort

Mon règne toujours durera

Et s’étendra du sud au nord. »

Il retourne vers son palais

Son larcin de fer contre lui

En rêvant de vaincre d’un trait

Le dernier de ses ennemis.

Neldemorof

Neldemorof, le grand sorcier, 

Les pas guidés par le hasard,

Suit la rampe d’un escalier

Dissimulé dans le brouillard.

Il cherche des yeux un signal

Apposé par la providence, 

Et présente aux lois ancestrales

Ses respects, son obéissance.

Voyage né d’une intuition :

Suivre un chemin initiatique

Dans un esprit d’abnégation

Détaché de tout sens critique.

Ce soir après des mois d’attente,

De nombreux dangers rencontrés,

Des découvertes exaltantes, 

Des monts, des marais, des contrées.

Il met la main sur un joyau

Que les hommes ont longtemps cherché

Mais que, ni humbles, ni loyaux,

Aucun d’eux n’a jamais trouvé. 

Il présente en fermant les yeux

Portée par ses deux bras tendus

La lame aux pouvoirs merveilleux 

Offert par son guide inconnu.

Et la forêt autour de lui

Au silence d’or et de paix

Percée des flèches de la pluie

Vacille, ondule, et disparaît. 

A la place des bois il retrouve 

Le décor connu de son antre :

Les murailles cernées de douves

Et le fier donjon en son centre. 

Il revient à l’emplacement 

Où son voyage a commencé.

Il se retrouve exactement 

Le même jour, la même année. 

L’épée, bien rangée dans sa gaine,

Contrôle l’espace et le temps. 

Il connaît la nature humaine, 

Quel usage les combattants

En feront si son existence

Aux plus puissants est révélée. 

Il décide en âme et conscience

De toujours la dissimuler. 

Les années passent et la pensée

Parfois peut se remplir de doutes.

“Et si l’épée m’était donnée 

Pour emprunter une autre route ?

Et si le fond de ma mission 

Devenait celle d’un messie,

Pour atteindre la perfection, 

Modifier le cours des récits ?”

Il pense aux folies meurtrières 

A la douleur des choix passés 

Aux rois et leurs passions guerrières 

Qu’il peut de sa main effacer.

Il lève le glaive enchanté 

Le brandit face au ciel rougit, 

Efface des mois, des années 

Et le temps transperce la vie.

Ce soir une licorne passe

Sur des volcans inoffensifs. 

L’équilibre a repris sa place 

D’un mouvement rétroactif. 

Une guerre éternelle

Deux ennemis toujours en lutte

Sans que jamais l’un ne l’emporte,

La vie s’étend chaque minute 

Pour résister devient plus forte.

Par son don guérisseur l’épée 

Aurait bannit toute existence

Car c’est bien dans la rareté

Du temps que naît la résistance. 

Mais l’Histoire est un fleuve immense

Qui ne peut sortir de son cours. 

Du haut des monts où il s’élance 

Il file droit et sans détours.

L’animal, après un sursis,

D’un projectile fut blessé 

Puis reprit la cérémonie 

De la naissance des épées. 

Et la mort frappa tour à tour 

Les habitants jadis sauvés 

De Goth et de ses alentours, 

Leur roi, et enfin le sorcier. 

Prolongée par leurs descendances

La guerre entre deux ennemis

Se poursuit toujours en silence 

Sans jamais l’espoir d’un répit. 

Les deux épées dorment encore

Au fond d’une cave oubliée. 

Sous les ruines d’un château fort 

Deux autres vont se réveiller.