13. Le temple golème

La Mapurna est la déesse des Golèmes. Nul ne sait vraiment ce qu’elle est, car nul ne peut la rencontrer. Toutes les prières lui sont adressées. Sa seule évocation met fin aux guerres, aux doutes, aux craintes. Selon la légende, elle apaise, rend les terres fertiles, guérit les blessures, fait croître les plantations et, surtout, fournit l’eau du ciel. Le monde entier repose sur son existence et sa bienveillance. Elle a rédigé il y a fort longtemps des règles que personne n’oserait contester, comme celle qui interdit le meurtre et les guerres fratricides. Ce n’est pas une divinité abstraite, utilisée pour contraindre les peuples dans la peur d’une colère destructrice ou dans l’espoir d’une vie éternelle. Elle vit dans une ville sacrée, dans une demeure entourée d’un halo opaque, protégée jour et nuit. Elle ne ressemble pas aux Golèmes. Sa beauté est légendaire et éternelle. De nombreux récits narrent son histoire, son apparition il y a des millénaires, ses bienfaits et sa magie. Elle est une légende vivante et la source de chaque existence.

Jukall fait un pas en arrière.

  • La Mapurna ? Personne n’a le droit de la rencontrer. Je peux lui faire porter un mot, mais vous serez éventrés avant d’avoir pu prononcer une syllabe, avant d’avoir pu entrer dans le temple. Ses gardiens la protègent de la souillure des mortels, depuis la nuit des temps. Je suis navré, je ne pourrai pas faire mieux.
  • Merci, un simple mot nous suffira dans ce cas. En attendant, nous serions reconnaissant que vous nous accordiez l’hospitalité. Je devine que votre victoire va provoquer beaucoup de remous pour vous et votre famille. Vous serez peu disponible. Avec un laisser-passer de votre part, nous n’aurons plus à vous solliciter.

Les Golèmes ont maintenant quitté l’arène pour retrouver leurs villages, leurs familles. Les demeures aux toits arrondis et aux étroites fenêtres s’étalent sur des kilomètres autour d’une grande place unique flanquée d’un haut beffroi. Une habitation a été généreusement affectée aux deux voyageurs. Le long d’une rue de sable et de terre, ils découvrent une vaste maison composée de plusieurs chambres, d’un lieu de vie et d’une cuisine. C’est visiblement un lieu réservé aux hôtes de marque, de passage. Ils ont été invités à rester aussi longtemps qu’ils le souhaitaient. Après des jours de voyages épuisants, après les combats et les dernières épreuves, après la révélation dans la fosse commune, ils arrivent enfin dans un endroit qui leur semble paisible et où ils vont pouvoir enfin reprendre des forces.

Au matin, ils reçoivent la visite d’un personnage qui se présente comme le prêtre de la Mapurna. Il est accompagné de plusieurs gardes. Sa tenue, richement décorée, et l’intérêt des badauds qui regardent la scène avec curiosité, traduisent l’importance de ce personnage dans la société Golème. Ils le font entrer et s’installent dans la pièce de vie à la faible lumière. Il prend la parole :

  • Notre nouvelle autorité m’a informé que vous souhaitiez faire parvenir un message à notre Déesse, que j’ai l’honneur de représenter. Je suis Gaxzer, le Grand Secrétaire. Comme vous le savez, sa pureté est préservée de tous pour maintenir intacte sa divinité. Par exception, il est parfois possible, en effet, de communiquer quelques informations, tant que cela ne vient pas troubler sa méditation qui nous assure le bonheur de tous. Et moi seul ai les accréditations pour entrer en contact avec elle. Dans le cas présent, je dois dire que je suis surpris de votre requête. Surtout venant d’étrangers dont les intentions sont…comment dire…imprécises. Vous êtes des guerriers, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qui vous amène donc par ici ? D’où venez-vous ?
  • Oui, Grand Secrétaire, répond Randt, nous sommes des mages et des guerriers. Nous venons du pays de Palomeni, qui est très loin d’ici. Nous savons à quel point votre déesse est sacrée, mais elle est la seule à pouvoir nous aider. La réputation de sa sagesse a traversé les mondes. Nous avons accompli ce grand voyage dans un seul dessein : découvrir comment lutter contre la sécheresse de notre océan, qui, jour après jour, se vide et transforme les champs en désert. Votre pays était un désert. Vous en avez fait une contrée fertile. C’est en désespoir de cause que nous avons accompli ce voyage. Nous ne souhaitons pas importuner votre Déesse mais serions très reconnaissants qu’elle nous accorde un peu de son temps.
  • Je ne connais pas de…Palomeni, ce doit être vraiment très loin…Bien, nous ne vous laisserons pas dans cette difficulté sans vous aider autant que nous le pourrons. Je vous ferai connaître sa réponse, le cas échéant.

Puis il prend congé rapidement, comme pressé par un autre rendez-vous plus important.

Le soir est maintenant tombé. Randt est attablé et écrit dans un carnet le récit des jours récents, tandis qu’Axelle prépare ses armes. Tout est immobile, sauf les ombres qui s’agitent au gré des mouvements de flammes dans la cheminée. Le crépitement du feu s’amplifie et la lumière commence à devenir plus forte. L’homme lève la tête lentement puis place son carnet dans sa poche. La fille range ses armes sur son dos et se dresse également. Soudain, une explosion éclate à la porte, projetant les deux voyageurs contre le mur. 

Une dizaine de soldats, l’arme à la main, entrent dans la pièce et se précipitent sur la fille devant eux. Elle esquive les coups et parvient à se réfugier dans une pièce au fond. L’un des gardes clame « Il est où ? ». Randt apparaît devant eux et ordonne calmement « Abaissez vos armes et tout se passera bien ». 

Sans attendre la fin de sa phrase, le plus hardi tente de le frapper avec une lance de métal mais il ne l’atteint pas. Le vieil homme s’est écarté trop rapidement et prend le temps de leur dire « Pauvres fous ! ». A leurs pieds, trois têtes roulent sur le sol. « Messieurs, il faut toujours obéir à un puissant mage », dit Axelle, qui vient de faire usage de sa lame sur des soldats lancés à sa poursuite. Le mage lève un bras et les gardes face à lui perdent soudain la vue, victime d’un puissant sortilège. Pris de panique, ils donnent des coups de lance devant eux au hasard, s’étripent mutuellement avant de s’écrouler de douleur. 

Un garde essaie de s’enfuir. La fille poursuit le fugitif et lui assène un coup fatal sur le crâne. Il s’écroule aussitôt. Les deux gardes survivants lâchent leurs armes et font face au mage.

A quelques lieues de là, le temple de la déesse est un bâtiment rectangulaire à l’architecture sobre et solide. Il est entouré d’un haut mur protecteur et d’un halo magique impénétrable, gardé par une armée d’élite. Plusieurs bâtiments autour hébergent l’armée, les prêtres et l’intendance.

Deux gardent arrivent en courant et s’adressent à l’officier devant le portail. 

  • Nous revenons d’une mission spéciale, nous devons voir Gaxzer au plus vite.

Celui-ci sort de son logement avec hâte. Il attendait avec anxiété le résultat de l’expédition. Le garde lui fait son rapport.

  • Les deux étrangers sont morts, mais les pertes ont été importantes, nous sommes les seuls survivants. 

Le secrétaire fait un pas en arrière, pris de panique, et commande aussitôt à l’officier.

  • Tuez-les, tout de suite !
  • Mais ! Tente de contester l’un d’entre eux, effrayé par l’ordre donné.

Les autres gardes saisissent leurs armes et tirent sur eux. Ils sont criblés de balles et s’effondrent. Surpris de l’absence de réaction, Gaxzer reste un moment interloqué, ne sachant comment réagir, alors que les gardes attendent une explication. Il prend le temps de la réflexion, scrute autour de la maison, observe le halo protecteur et, considérant que le danger est écarté, reprend avec confiance.

  • Débarrassez-moi d’eux et informez-moi de tout mouvement suspect. Vous deux, retournez dans la maison des étrangers et faites un rapport au plus vite.

Il se dirige vers le temple. A son approche, le halo s’ouvre pour le laisser passer. Il franchit le seuil, puis il monte les marches et entre en son sein. Là, placé contre le mur au centre du bâtiment, gît une sorte de sarcophage de pierre noir, couverte de signes bigarrés, placée verticalement. Il s’en approche lentement et s’agenouille.

  • Votre sainteté, je ne laisserai personne vous faire de mal.

Dans la pierre, une étroite fenêtre laisse apparaître le visage d’une femme immobile. On peut y lire une douleur sans fin.