14. La Mapurna

Gaxzer se redresse. Il sent une présence derrière lui. Il se retourne et découvre les deux voyageurs, à sa grande stupéfaction. Il balbutie.

  • Mais…comment avez-vous pu entrer, c’est impossible.
  • Vous seriez surpris de découvrir ce dont nous sommes capables. Maintenant, écartez-vous, c’est un conseil, lui répond Axelle.
  • Sortez d’ici !

Puis il sort de sa poche un cercle de métal qu’il place à sa main. Un rayon vif projette l’homme et la fille contre le mur. Randt se redresse péniblement, regrettant de n’avoir pas fait feu le premier. Quand le secrétaire renouvelle son geste, il tend la main et interrompt le halo. Le secrétaire devine qu’il est face à plus fort que lui.

  • Attendez, je ne sais pas ce que vous voulez, mais cette créature est dangereuse. Nous sommes parvenus à la rendre inoffensive et à en tirer le meilleur, mais son passé est rempli de drames, de massacres.

Randt lui répond calmement, en prenant tout son temps.

  • Vous l’avez enfermée depuis des centaines d’années pour exploiter sa magie, par peur de l’inconnu. Vous ne savez toujours rien sur elle. Elle est bien plus qu’une déesse pour le monde d’où elle vient. Nous sommes venus la libérer.
  • Non, je ne vous laisserai pas ! Qu’est-ce que vous croyez ? Que votre misérable petite quête est connue de vous seuls ? Il est en ce monde des forces qui vous dépassent, bien plus terribles que cette petite prophétie qui vous sert de guide. Je vais vous donner un aperçu !

Son regard devient plus clair, ses yeux changent progressivement de couleur, ses cheveux deviennent de plus en plus raides et se transforment en pics, durs comme l’acier. Ses yeux rougissent et son visage s’étend à mesure que sa voix est altérée. Derrière le secrétaire zélé se cache un monstre d’une nature inconnue. De ces mains tordues et grises sortent des filaments qui se répandent par dizaines autour de lui et grandissent en direction des voyageurs. Axelle en brise plusieurs avec sa lance, mais l’un d’eux atteint sa jambe, ce qui la paralyse et la fait chuter. 

L’homme se protège par la force de son esprit, les filaments s’usent à essayer de traverser une cloison invisible. Le secrétaire fait un pas vers Axelle, sort un large couteau et tente de lui transpercer le cœur. Randt lance un poinçon en pleine gorge, d’où le sang noir commence à couler. Mais, ce faisant, il a laissé passer un des filaments dont le contact le paralyse à son tour. Gaxzer pousse un rire de soulagement.

  • Imbéciles, vous avez vu juste, la magie qu’elle produit ne profite qu’à moi. Je suis le véritable maître. Je l’ai vaincue jadis comme je vais vous abattre. Cette femme était puissante, mais je l’ai dominée malgré tout !

Il serre fermement son couteau et tranche la gorge de Randt, sans défense. Voyant le sang rouge se répandre, le secrétaire pousse un cri de joie. Il se retourne et découvre la fille qui s’est levée brusquement, comme si le poison des filaments n’avait plus aucun effet sur elle. D’un geste vif, elle scinde le monstre en deux. Sa lance pénètre dans le crâne et descend jusqu’à terre. Les deux yeux terrifiés de Gaxzer s’écartent, emportés chacun par une moitié de corps de chaque côté.

Elle se précipite vers Randt, qui agonise.

  • Ah non, je ne vais pas retourner te chercher !

Elle cherche dans la poche de sa tunique une poignée de fleurs séchées qu’elle projette en prononçant quelques mots magiques. Une lumière douce parcourt les fleurs en lévitation puis vient recouvrir le magicien. Il ouvre les yeux et se racle la gorge. « Merci », dit-il sobrement. Il se relève, au milieu des filaments sans vie et enjambe les deux restes du secrétaire. Il s’approche du sarcophage.

  • Elidée…dit-il pensivement. 
  • Comment allons-nous l’ouvrir ? Il est protégé par un sort inaltérable, créé pour ne jamais la laisser partir.
  • Il est une matière qui dévore toute substance métallique, dont j’ai la maîtrise : les pluies d’acide de Kervea, que j’ai prévu de prendre avec moi ! Le sarcophage n’est pas clos par magie, mais par une serrure invisible qui, elle, s’enclenche par magie. Si je dépose quelques gouttes au bon endroit, cela provoquera une rupture suffisante.

Il fait tomber quelques gouttes. La matière qui constitue le sarcophage, réputée incassable, s’effrite sous l’action du liquide qui creuse toujours plus profondément. Un bruit de ferraille tordue retentit. Le couvercle du sarcophage s’ouvre, laissant apparaître une femme au teint blanc, vêtue de voiles qui recouvrent sa frêle silhouette. 

Ses cheveux sont noirs et ses yeux marrons. Son visage est fin, trop fin pour être vraiment beau, mais il émane d’elle une douceur simple et fascinante. Elle se redresse et les fixe du regard. Elle semble chercher ses mots. Axelle lui adresse un sourire : « Vous êtes libre. » dit-elle simplement. 

Des larmes surgissent de ces yeux couleur de terre, alors qu’elle sourit. Autour d’elle, la pièce rayonne et tremble. Elle devient l’extension de son âme, puis la maison, la ville autour d’eux et bientôt la planète entière. Elle se lève, marche vers eux sans s’attarder sur les traces du combat, prend dans une main celle de l’homme et dans l’autre celle de la fille. La grâce l’accompagne à chaque pas.

  • Vous m’avez sauvée, je vous suis redevable à tout jamais. Depuis combien de temps suis-je ici ?
  • Je l’ignore. Un temps infini. Venez, il faut partir au plus vite. La magie qui protège ce lieu s’évanouira progressivement. Je doute que les Golèmes apprécient notre intervention.
  • Et où m’emmenez-vous ?

Axelle lui serre la main un peu plus fort.

  • Là où vous êtes attendue depuis très longtemps.