15. Une planète ressuscitée

C’est une planète morte. Sa planète, dont elle était reine, il y des siècles de cela. Depuis, la guerre a ravagé les villages, obscurci le ciel, massacré la faune et la flore. Les rares survivants ont fui, laissant derrière eux le souvenir fané de la grandeur d’autrefois. L’atmosphère est chargée d’une poussière à l’odeur d’acier. La faible lumière grise rappelle les anciens paysages qui mêlaient jadis si bien le vert, le bleu et l’or. Des souvenirs reviennent à sa mémoire, ceux d’un bonheur enfui, d’un peuple heureux et prospère. 

Ils se tiennent devant les ruines de l’ancienne capitale, Eliade. A son sommet resplendissait son palais, d’où elle pouvait admirer les compositions colorées que la nature offrait à son regard. Elle en était la reine et la source. Le spectacle de cette désolation lui poignarde le cœur. Elle manque de trébucher, mais elle est retenue par ses deux libérateurs, dont elle n’a pas lâché les mains.

Elle leur adresse un sourire triste, puis sans prononcer un mot, se redresse. Son visage est maintenant plus serein. Elle sent sa planète sous ses pieds. Elle rejoint ses mains devant elle. Elle écarte un bras et fait jouer ses doigts quelques instants, en fermant les yeux. Les deux voyageurs restent derrière elle et la regardent sans bouger, sans inquiétude mais avec curiosité.

De ses doigts surgissent quelques plantes microscopiques qui s’en   volent autour d’elle pour former un anneau végétal de plus en plus fourni qui s’étend en direction de la ville. Un chemin verdoyant se crée sous leurs yeux, puis grandit en une forêt naissante de part et d’autre du chemin. Elle rapproche ses mains pour les unir. Elle les tourne, comme si elle pétrissait une terre invisible avant de la relâcher pour la laisser s’envoler, après l’avoir transformée en quelque volatile invisible. L’effet de sa magie se développe, s’étend, se multiplie. Les nuages sont chassés, les forêts repoussent, les lacs se remplissent. Les animaux reviennent à la vie, des oiseaux colorés s’envolent et passent en nuées au-dessus d’eux. La ville retrouve sa forme d’antan alors que la poussière redevient pierre, que les pierres redeviennent murailles, maisons, palais, échoppes. 

Son visage traduit sa joie de redonner ainsi naissance à sa planète. Ses yeux sont brillants, son sourire franc. Elle est la grâce et la beauté. Elle est comme le chef d’orchestre de toute chose, de tout être. La planète entière reprend vie, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Les vents soufflent et se mêlent à la matière en mouvement. Les planètes autour s’alignent, les soleils reprennent feu, un univers entier est dans la main de cet être aux pouvoirs fabuleux. 

Les deux voyageurs, pourtant habitués aux merveilles de la magie, sont fascinés et sans voix face à cette renaissance, fruit de la volonté d’Elidée, en parfaite symbiose avec son monde. Tout s’est déroulé comme si chaque atome avait repris sa place. La métamorphose s’achève alors lentement. Les dernières pierres s’installent aux endroits appropriés, les ultimes fleurs poussent sur les balcons des demeures maintenant habitées.

Ils sont plus de deux mille, de tous âges, de toutes conditions, à sortir maintenant lentement par la porte principale d’Eliade, pour venir à la rencontre de leur reine, de leur déesse, qui les attend sans bouger. Elle les a ramenés à la vie. On entend des rires, des pleurs. Personne ne sait comment réagir devant un tel miracle. Son visage calme et aimable est une inspiration pour chacun. Dans la foule, un homme âgé s’avance. C’est son père. Il lui tend les mains et lui dit doucement :

  • Je savais que tu reviendrais, ma fille. Nous avons vécu l’enfer, la mort, la désolation, mais je n’ai jamais douté de toi. Comme je suis heureux de te retrouver en pleine forme !
  • Papa…, dit-elle en le serrant dans ses bras.

Derrière elle, les deux voyageurs ont regardé la scène sans intervenir. A vrai dire, personne ne s’inquiète de ces inconnus. Ils ont été témoins d’une résurrection : celle d’une planète et de ses habitants. Après quelques minutes, la déesse s’adresse à eux en les désignant.

  • Chers amis, je dois vous présenter ceux qui m’ont sauvée. Sans eux, je ne serais pas là. J’ignore encore comment ils ont réussi à me délivrer du piège où j’étais retenue prisonnière. Croyez-le, nous vous serons redevables éternellement. Vous pouvez exiger de nous ce qu’il vous plaira.

La fille lui répond en premier.

  • Merci, votre majesté. En premier lieu, nous ne sommes pas contre quelques récompenses pécuniaires, comme juste rétribution de notre travail acharné pour vous délivrer.

La demande ne semble pas surprendre la reine, qui hoche de la tête en signe d’approbation. Le mage prend ensuite la parole.

  • Majesté, nos cœurs s’emplissent de joie devant le spectacle de ce bonheur retrouvé. Vous méritez maintenant, avec votre peuple, de vivre dans la quiétude et la sérénité. Cependant, nous avons une autre requête. Nous avons une guerre à mener.