24. Le feu de l’épée

Hervel et le maître Hartel sont partis du village aux premières heures de la matinée. Quelques armes, des provisions, un véhicule léger et une réserve de Rosat. Hartel a prévenu leur dirigeant qu’ils partaient pour une mission de la plus haute importance. Ce dernier leur a souhaité bonne route, sans demander plus d’explication.

Ils ont pris la direction du village des O’guf’n, une route assez longue mais qui ne présente pas de danger particulier. Cette partie du continent est peu habitée et peu empruntée en cette période de l’année. Il en va différemment quand arrive la période des Réponses, car tous les peuples se rendent chez les O’guf’n pour obtenir leurs lumières sur de nombreux sujets.

Leur véhicule, mû de façon autonome par l’énergie du Rosat, avance maintenant depuis 3 jours à grande vitesse à travers la prairie. La jambe d’Hervel ne le fait plus souffrir, c’était en définitive une blessure anodine qui cicatrise rapidement.

Le véhicule franchit les herbes hautes sans montrer le moindre effort, glissant au-dessus du sol irrégulier. Le voyage est peu éprouvant pour les passagers, mais ils doivent rester attentifs, pour ne pas heurter un troupeau de balancelles effrayées ou une motte saillante.

Hartel est perdu dans ses pensées. Depuis le début du voyage, il n’a pas beaucoup parlé. Hervel ne lui a pas posé de questions sur les raisons de ce voyage, ni sur les demandes qu’il compte faire auprès des O’guf’n, ni sur les raisons qui l’ont amené à l’inviter à ce voyage. Il le sent préoccupé et peu enclin aux discussions futiles.

Soudain, le véhicule est soulevé et se retourne en pleine vitesse. Les deux Hallouis sont projetés hors de celui-ci. Ils retombent lourdement sur le sol, dans un cri de douleur. Hervel ne parvient pas à reprendre ses esprits immédiatement. Un voile noir l’empêche de voir et de comprendre ce qui vient d’arriver. Après un moment d’attente, il se redresse et commence à entrevoir le véhicule au loin, totalement détruit. Il en déduit qu’ils ont fait une erreur de pilotage. Il cherche du regard son maître, en espérant qu’il en soit sorti sain et sauf. Il tourne sur lui-même, regarde autour de lui pour le trouver. « Il doit être allongé au-milieu des herbes », se dit-il. Il faut à tout prix qu’il le retrouve. Il commence à courir, puis à l’appeler « Maître, où êtes-vous ? ». Dans sa course, il butte sur un paquet qu’Hartel avait soigneusement rangé parmi ses affaires. Éventré, il laisse apparaître le pommeau d’une épée. Il n’y a aucun doute : il s’agit de l’épée qu’il avait trouvée enfouie dans la terre. Il devine que ce voyage est lié à sa découverte. Il la ramasse, conscient de l’importance qu’elle doit avoir pour lui. En se redressant, il entend une voix au loin « Donne-la-moi immédiatement ! Elle doit y rester ! ». De l’autre côté, derrière la carcasse du véhicule, un homme vêtu de noir et mesurant près de deux mètres soulève Hartel par le cou en l’étranglant.

Machinalement, Hervel pousse un cri et brandit son épée d’un air menaçant « Lâche-le ! ». L’homme se retourne brusquement et lâche Hartel. « La voici donc ! Merci, jeune homme ! ». Hartel, découvrant son apprenti muni de l’épée comprend le danger qu’il encourt « Non, Elderoden, laisse-le ! »

Sans répondre, le sorcier se dirige rapidement vers l’apprenti, qui prend conscience du danger auquel il s’expose. Ne sachant quelle attitude adopter, il fait d’abord un pas en arrière puis se prépare au combat. Il brandit l’épée au-dessus de sa tête, alors que le sorcier est à sa portée, puis tente de lui donner un coup. Hélas, au moment où l’épée doit entrer en contact avec Elderoden, celui-ci disparaît et se retrouve derrière lui. Il reçoit alors un violent coup dans le dos qui le projette en avant. Propulsé par cet élan, il reprend l’équilibre et court aux côtés de son maître. Hartel est allongé et semble blessé.

  • Je vais vous sortir de là, maître
  • Non, répond Hartel dans un souffle. Hervel…l’épée…frappe…le sol… »

Le sorcier se tient debout, au loin, mais ne semble pas vouloir s’approcher. Autour de lui le rejoignent deux êtres ailés, mi-humains mi-chauve-souris aux crocs aiguisés, qui s’envolent en direction des deux Hallouis.

Hervel saisit la lourde épée à deux mains, la soulève puis l’abat violemment sur le sol, comme s’il voulait déchiqueter le ventre d’un ennemi à terre. Au même instant, Elderoden lève un bras comme pour tenter de dissuader le jeune homme, sans qu’aucun mot ne puisse sortir de sa bouche. Une gerbe de flammes jaillit autour du jeune homme et se répand en cercles successifs. Elle brûle les herbes, atteint le véhicule et fait exploser le Rosat éventré sur le sol dans des gerbes violacées.

Hervel aperçoit les deux créatures au-dessus d’eux partir en fumée. Avant que les flammes ne l’atteignent, le sorcier disparaît, ne laissant derrière lui qu’un nuage de fumée opaque. La destruction est totale et les flammes se propagent sans obstacle. Les deux hallouis demeurent saufs, comme protégés dans un cocon au milieu du feu. Hervel soulève l’épée et les flammes disparaissent instantanément. Il se retourne vers Hartel. Il ne respire plus. Hervel est effondré. Il met un genou à terre et laisser couler ses larmes.

Il reste longtemps à veiller sur la dépouille de son maître, à tenter de comprendre la succession des événements, mais sans y parvenir. Il hésite sur la marche à suivre, puis décide d’aller au bout de la mission. Visiblement, l’objectif pour Hartel était de confier cette arme puissante au seul peuple qui saurait l’utiliser à bon escient : les O’guf’n. Ils ne sont qu’à deux jours de marche. Bien sûr, il y a toujours le danger de voir Elderoden revenir, mais avec cette épée, il ne craint pas son retour.