2. Randt & Elderoden

Ce soir, comme chaque soir depuis des années, Elderoden marche lentement dans les couloirs d’un ancien monastère désaffecté où il a pris refuge. Les jours passés ont marqué le visage du sorcier. Des jours qui ont rempli son existence de néant. Jadis, il était craint par les plus grands des mages. Son ambition était démesurée et nul ne pouvait entraver sa route.

Ce ne sont pas ses pouvoirs qui l’ont abandonné. Il s’est affaibli, perdu dans sa détresse. Aucune quête, aucun trésor, ne semblent pouvoir lui apporter le réconfort. Il s’est mis en retrait et entretient le souvenir de la dernière flamme qui le retient à la vie. Une flamme lointaine qui brille d’autant plus fort qu’il ne vient pas l’altérer par sa présence.

Du fond de sa tanière, il perçoit les mouvements du monde, qui ne le touchent pas. Les guerres stériles entre les royaumes, la vanité des souverains et celle encore plus criante de leurs sujets. Parfois, des combats lui redonnent le goût de la victoire. D’autres fois, des mystères se présentent à lui et lui font espérer qu’il ne connaît pas déjà tous les enchantements, toutes les sources, tous les recoins cachés de cette terre. Mais cette curiosité disparaît bien vite.

Il a souvent été l’objet d’attaques impromptues de la part d’intrus qui le croyaient trop affaibli, pour lui dérober ses livres rares ou ses armes enchantées. Ou obtenir la gloire d’avoir abattu un mage légendaire. Le dernier en date, un jeune sorcier plein d’espoir, avait projeté vers lui des jets d’antimatière. Elderoden prit un plaisir raffiné à les éviter et à faire cesser cette attaque d’un coup d’épée entre ses deux yeux. Sans même user de magie.

Ce soir, de nouveau, il pressent qu’il aura de la visite. Le bruit de bottes sur le carreau de la cour centrale confirme son sentiment.

  • En voilà un autre qui veut se mesurer avec moi, se dit-il. La discrétion même…!

Il relève ses manches et se prépare au combat. Le visiteur apparaît devant lui et s’immobilise. Le sorcier le reconnaît aussitôt.

  • Oh…c’est toi, Randt, dit le sorcier.

Il s’approche de lui, avec méfiance.

  • Quelles sont tes intentions ? Cela remonte à loin…
  • Oui. Bonjour Elderoden. Je sais ce qui te tourmente, lui répond-il.

Elderoden ne se laisse pas troubler par cette affirmation. Pourtant, il n’en demeure pas moins affecté.

  • Et que crois-tu savoir ?
  • Je sais que depuis des années, ton cœur se consume à cause d’un amour impossible. Celui que tu as choisi délibérément de ne pas vivre. Ton isolement t’enferme dans une détresse qui te détruit.
  • Tu ne sais rien, lâche-t-il avec une émotion dans la voix. Puis il se ressaisit : Que veux-tu ?
  • Il est un objet magique, que je porte avec moi, et que je souhaite te confier. Nul ne doit entrer en sa possession. Je veux que tu le protèges pour moi.
  • Pourquoi ferais-je cela ?
  • Que ferais-tu pour préserver celle qui t’est si chère ?

Baissant la tête, Eldoreden répond :

  • N’importe quoi…mais quel rapport ?

Le visiteur continue : 

  • Tu sais qui je suis. Nous avons combattu ensemble par le passé. Si je suis ici c’est que je te crois le seul capable de garder cet objet en sécurité pendant mon absence.
  • Je sais que je peux te faire confiance, Randt…mais qu’ai-je à y gagner ?
  • En échange, je peux te conduire à elle. Je sais où elle est.
  • Je me suis efforcé de perdre sa trace depuis bien longtemps pour la laisser vivre sa vie, pour qu’elle connaisse ce que je ne pouvais lui offrir. Pourquoi voudrais-je la retrouver maintenant ?
  • Car c’est maintenant qu’elle a besoin de toi, de ta magie et de ta protection. Elle se meurt.

Elderoden prend la révélation comme un coup de couteau au coeur. Comment se peut-il que son amour, son unique flamme, puisse un jour s’éteindre ? Il n’avait jamais imaginé que cela puisse se produire, sinon il l’aurait protégée au lieu de disparaître. Mais que ne pourrait-il accomplir pour elle, lui, le plus puissant des mages ?

  • Si tu dis vrai, alors je m’y rendrai sans attendre, et je ne reviendrai jamais ici. Je resterai auprès d’elle. Donne-moi ton paquet, je m’en occuperai, tu as ma parole. Et je te remercie d’être venu me trouver.
  • Elle se trouve au 3, route des Archers à Olipro…bonne chance.

Randt pose un large paquet contre le mur et sort de la bâtisse.