Deux jours plus tard, à Olipro, un vieux médecin, vêtu de la veste noire traditionnelle des membres de sa confrérie et portant un sac de cuir à l’épaule, frappe la porte d’une petite maison. Une femme brune, mince, aux cheveux courts, ouvre à l’inconnu. Elle semble fatiguée, mais on perçoit malgré tout la beauté de ses traits et la douceur dans son regard.
- Oui…c’est pour quoi ? dit-elle avec une voix faible.
- Je suis médecin, auriez-vous besoin de mes services ?
- Hélas, je n’ai pas d’argent pour vous payer…mais…oui nous aurions besoin de vous…
- Peu importe l’argent, répond-il avec un geste de la main. Pour cette fois, vous me paierez avec votre gratitude…et un grand verre d’eau !
La femme est surprise et ne sait que répondre. Mais son visage retrouve une lueur d’espoir depuis longtemps éteinte.
- Qui est-ce ? Dit un homme derrière lui, avec suspicion, en s’approchant du visiteur.
- Cher monsieur, je suis médecin et je viens apporter mes services.
- Je lui ai déjà dit que nous n’avions pas d’argent, précise la femme, mais cela ne semble pas poser de problème…
- Je ne vous ai jamais vu par ici, répond l’homme, dubitatif.
- Je viens d’arriver et je cherche à constituer ma clientèle, vous comprenez. Vous me paierez un jour si vous le pouvez. Et si vous ne pouvez pas, croyez-moi, ce n’est pas bien grave.
L’homme hésite puis, se décide à le laisser entrer.
- Ah…bien…alors c’est la providence qui vous envoie. Venez avec moi…c’est en haut.
Le mari monte les marches rapidement, le coeur battant, suivi du médecin et de sa femme. Il ouvre une porte couverte de motifs de couleurs vives puis entre dans la chambre sans faire de bruit. Contre un mur, dans un petit lit, une fillette repose, les yeux fermés. En la découvrant, Elderoden sent sa gorge se nouer. Elle a le teint pâle et les cernes très marquées.
- Cela fait maintenant deux semaines que Safinéia, notre fille, ne peut plus se lever et à peine manger. Elle respire difficilement…nous avons fait venir un médecin mais il n’a rien pu faire. Nous ne savons plus quoi faire maintenant. Nous attendons la saison du Palais des Réponses mais c’est tellement loin. Nous avons si peur de la perdre ! dit la femme avant d’éclater en sanglot dans les bras de son mari.
- Bien…puis-je vous demander de sortir ? Je vais m’en occuper, demande le médecin.
- Heu…oui bien sûr.
L’hésitation est de courte durée. Les deux parents sortent de la chambre et referment la porte derrière eux. Elderoden s’assied sur le lit de l’enfant. [Musique : Un instant avec Safinéia]
- Ma petite fille, murmure le sorcier à la fillette endormie en lui prenant la main, je ne te laisserai plus seule. Je suis resté à distance trop longtemps, je t’ai laissé vivre ta vie avec des parents aimants car c’était mieux pour toi. Mais désormais je veillerai sur toi.
Il passe sa main sur le front de la fille et chasse le mal d’un geste. Son visage retrouve sa fraîcheur, elle respire de nouveau normalement. Ses yeux s’ouvrent et découvrent l’inconnu penché sur elle avec un sourire.
- Qui…qui êtes-vous ?
- Je suis médecin. C’est fini, Safinéia, tu es guérie maintenant, tu te sens bien ?
- Oui…où est maman ?
Entendant la voix de leur fille, ses parents entrent dans la chambre et se précipitent sur elle, les yeux humides de bonheur. Les retrouvailles sont émouvantes. Elderoden ne peut prononcer un seul mot devant ce spectacle de joie. Mais il lui faut conserver son rôle jusqu’au bout.
- Merci, docteur, merci. Je ne sais pas comment vous remercier pour ce que vous avez fait !
- Ce n’est rien…permettez-moi tout de même de revenir de temps à autre pour vérifier que tout se passe bien ?
- Bien sûr, vous serez toujours le bienvenu !
- Très bien alors je vous laisse…et prenez soin d’elle !
- Merci, merci, lui dit la femme en serrant sa fille contre elle.
Il regarde encore un fois cette petite fille dont la blondeur et les grands yeux clairs lui rappellent l’enfant qu’il était. Son subterfuge lui a permis de ne pas être reconnu par la femme qu’il avait aimée. Il a appris l’existence de sa fille, longtemps après sa naissance, et avait décidé de ne pas intervenir pour lui laisser la chance de grandir avec deux parents aimants, ce qu’il n’avait jamais vécu. Mais cet éloignement lui avait coûté, quoi qu’il ait pu en penser.
Désormais, il pourra exister à ses yeux et lui apporter ses bienfaits sans remettre en cause sa décision initiale. Cette petite flamme, sa faiblesse et son trésor, est désormais saine et sauve. Elderoden, rendu méconnaissable par métamorphose, sent revenir à lui un souffle vital, comme au sortir d’une longue pénitence. Il retrouve un équilibre, reprend corps avec lui-même. Renforcé par son amour, il retrouve son ambition et sa soif de puissance. Il sait que ce secret est sa faiblesse, pour qui voudrait l’atteindre, et qu’il devra toujours le dissimuler.
Arrivé chez lui, dans une humble demeure située au coeur du village, il regarde le paquet confié par Randt. Il commence à en arracher le papier protecteur pour découvrir son contenu.