27. Le combat final

Plusieurs semaines ont passé depuis le voyage d’Hervel. Il est rentré chez lui et a repris ses activités normalement. Mais une nouvelle s’est répandue dans tous les royaumes. La guerre fait rage dans les régions du sud. Un ennemi inconnu détruit tout sur son passage. Accompagné d’une armée de Kartaks, il ne montre aucune pitié. Ni la magie des vieux sorciers, ni les armes sophistiquées sortant des manufactures d’Eliade, ni les montagnes escarpées des Valteurs n’ont pu freiner sa progression.

Fermat, qui réside toujours dans les Conquars, apprend la nouvelle sans surprise et avec dépit. Il sait ce que l’avenir lui réserve et il ignore toujours comment éviter l’inéluctable. Il pense au collectionneur qui doit attendre avec impatience cet épisode historique. Celui où, malgré une lutte acharnée, les rois et reines sont balayés d’un souffle. La reine Fathrage entre à ce moment dans ses appartements :

  • Sir Fermat, nous devons agir, réunir nos troupes et nous préparer pour la bataille. Ce diable de Talek approche par ici. Dans moins d’une semaine il sera à nos portes. Nous saurons le recevoir !
  • Reine Fathrage, j’estime votre courage et votre bravoure, mais il n’est pas d’issue favorable dans ce scénario. Comme je vous l’ai dit, la suite de l’histoire est déjà écrite. Nous serons réduits en cendres en quelques instants. Il nous faut agir différemment de ce que la stèle nous montre. Sinon nous serons éliminés.
  • Voulez-vous ne rien faire ? Dans ce cas, ce sera peut-être une autre histoire mais le résultat sera identique ! dit la reine dans un hurlement qui raisonne dans les couloirs du château.
  • Ce n’est pas ce que je dis. Vous m’avez fait venir ici. J’ai délaissé mes terres pour vous aider, alors ne prenez pas ce ton avec moi. Nous devons raisonner et éviter de nous trouver dans la configuration attendue.
  • Comment faire ? Comment combattre et en même temps ne pas combattre pour ne pas craindre d’être battus ?
  • Le collectionneur m’a laissé penser qu’il pouvait exister une version de l’histoire qui l’intéresse moins. C’est peut-être une version où le combat n’est pas mené, car si nous sommes victorieux, cela restera aussi intéressant pour lui que si nous perdons. Tant que c’est spectaculaire. Il nous faut trouver une issue pacifique et, disons-le, sans aucun intérêt pour lui.
  • J’espère que vous avez une idée plus précise. Je serai en ce qui me concerne, sur le pied de guerre.

Talek arrive devant les grandes falaises des Conquars, qui a si souvent mis en échec plus d’un ennemi. Il sait qu’il conduira ici l’ultime bataille de sa conquête. Déjà, le royaume de la reine a été coupé de ses sources d’approvisionnement. Elle est isolée. Il chevauche un Kartak, l’épée à la main, accompagné de son armée ailée qui vole au-dessus de lui. 

Fermat, sur la falaise, se présente seul devant lui, sans la reine ni aucune armée. Bien qu’il soupçonne un piège, le guerrier atterrit face à lui, sans descendre de sa monture.

  • Tu es donc Fermat, le sorcier ! Et tu défends la reine Fathrage ?
  • Je protège mes royaumes, qui sont nombreux.
  • Acceptes-tu de devenir mon vassal, ou préfères-tu périr comme tous ceux qui ont essayé de me résister ? Est-ce une reddition ? Où sont tes armées ? Parle donc !
  • Talek, c’est beaucoup plus simple. J’aimerais que nous soyons amis.

Fermat souffle dans ses mains un pétale de fleur blanc qui monte et se dirige vers Talek. C’est un reste de Gorf, la plante psychotrope surpuissante, qu’il cultive en secret. Talek reste prudent et, regardant la scène lui demande :

  • Qu’est-ce que c’est ? Oublie ta magie, Fermat, tes pouvoirs de sorcier ne m’atteignent pas !

Il descend lourdement du Kartak, avance vers lui et d’un coup d’épée lui tranche la tête, qui roule sur la roche. Le pétale retombe sur le sol. Talek l’écrase de sa botte.

  • Adieu…mon nouvel ami ! Dit-il avec sarcasme.

Devant le spectacle de l’homme décapité, Talek sent soudain sa gorge se nouer. Il ressent un profond regret, comme s’il avait tué un frère. Les yeux embués, il fait demi-tour et remonte sur le Kartak. Le Kartak crache un feu qui réduit le pétale en cendres.

  • Bien occupons-nous maintenant du royaume des Conquars, dit Talek.

Le dragon décolle et rejoint l’armée volante. Ils se dirigent vers la citadelle et commencent l’attaque. C’est un cataclysme. Les Kartaks propulsent des flammes sur les bâtiments. Ils entourent la cité et se dispersent dans chaque quartier. Les habitants sortent en hurlant. La chaleur est plus intense que dans un volcan, le feu dévore tout. Les survivants courent en panique pour fuir le danger mais ils sont rattrapés par les monstres volants. Les soldats sont réduits en cendre avant de pouvoir armer leurs engins. La reine apparaît en tenue militaire : « Crétin de Fermat, il a échoué ! Soldats, soyez fiers de votre réputation, luttez avec moi ! ». Mais la reine n’a pas le temps d’agir. Talek se jette de son dragon devant elle et lui assène un coup au ventre. Elle ne tombe pas immédiatement. Elle le regarde, comme interloquée par sa fin proche. Il fait jaillir la puissance de l’épée en frappant lourdement sur le sol. Comme embrasée par un soleil, la ville s’enflamme. La reine tombe carbonisée à ses pieds.

A ce moment, Talek reçoit un coup dans le dos, qui le fait trébucher. Il se redresse, furieux. C’est un rocher, envoyé par un homme encapuchonné qui se tient au loin sur une des collines qui surplombent la ville. Des projectiles commencent à tomber autour de lui. Des rochers, des morceaux de terre, des racines d’arbre, de la boue. Talek reçoit un nouveau coup en plein visage, qui arrache un large lambeau et fait couler son sang. Il remonte sur sa monture et ordonne à tous de se diriger vers cet ennemi.

Debout, sur la colline, se tient Elderoden. Il manie l’épée de terre que lui avait confié Randt. Talek comprend que la partie sera plus rude que prévu. En contrebas, toutes les armées réunies s’animent pour livrer le combat contre les dragons. Des projectiles sont lancés contre eux. Certains Kartaks s’effondrent dans un cri rauque sur le sol qui tremble sous le poids des monstres. L’armée volante arrive au-dessus des soldats et crachent des flammes, mais sans les atteindre. Les soldats semblent abrités derrière un bouclier infranchissable.

Hel Talek se pose devant l’armée géante. D’un coup sec il abat son épée de feu. Les flammes surgissent au point de le rendre aveugle provisoirement. Quand les flammes et la fumée disparaissent il constate qu’elles n’ont pas eu l’effet désiré. Les soldats sont toujours debout. Cependant, au loin, le sorcier montre quelques signes de fatigue. Il a un genoux à terre, épuisé par la lutte. L’épée de Terre exige une énergie épuisante. Autour de lui, de petits êtres s’agitent pour le remettre sur pied. Il reconnaît les conseillers O’guf’n qui semblent bien impuissants dans cette situation, loin de leur base.

Il profite de l’occasion pour provoquer une nouvelle explosion de flammes. Cette fois-ci, l’armée est frappée de plein fouet et réduite en poussière. Il jubile intérieurement. La victoire est proche. Il se précipite vers la colline. Alors qu’il est sur le point d’y arriver, il voit apparaitre trois nouveaux personnages aux côtés du sorcier. Il ignore qu’il s’agit de Randt et Axelle, accompagnés de La Mapurna.

  • Elderoden, mon ami ! dit Randt.
  • Vous avez mis le temps, Randt…je n’en peux plus. L’épée de terre…
  • Déesse, prenez l’épée, je vous prie !
  • Mais…dit la déesse, je ne sais pas combattre, je…

Au même moment, les immenses vaisseaux de guerre de Talek apparaissent à l’horizon. Hel se retourne et constate avec satisfaction que son plan a fonctionné. Les généraux, devant la crainte que leur inspire leur souverain, emportés par une dynamique guerrière, sont rentrés dans le rang quand ils ont compris son plan. Le commandant du Koltrex lance aux autres généraux : « Débarquez vos soldats et attendez les ordres ». A présent, toutes ses forces sont réunies. Hel est certain que le combat va prendre fin avec une belle victoire.

Sans attendre, Axelle est descendue à toutes jambes de la colline en direction du géant. Elle prend son élan, saute sur une machine cassée et fond sur Talek, qui, surpris par l’agilité et la rapidité de la jeune femme, ne trouve pas la parade appropriée. Il donne un coup d’épée dans le vide mais la fille est déjà posée derrière lui. Elle lui assène un coup de lance dans la jambe qui met Talek à terre. Elle se prépare à lu iassèner le coup fatal. Derrière elle, un soldat lui tire dans la hanche. Elle s’effondre de douleur.

Talek utilise l’épée de feu comme d’une canne, pour se redresser. Il se prépare à frapper de nouveau le sol, mais l’épée semble vidée de tout pouvoir. Il envoie l’armée au corps-à-corps et avance en boitant vers la déesse.

  • Randt, dit Elderoden, nous avons fait ce que nous pouvions, mais notre l’épée de terre protège, elle ne peut tuer. Leur armée est plus forte et mieux outillée. Que pouvons-nous faire ?
  • Les épées ont des pouvoirs spécifiques, lui répond Kak. Vous devez l’utiliser à bon escient !

Randt s’adresse à La Mapurna :

  • Déesse, je vous en conjure, utilisez vos pouvoirs pour créer la vie, non pour la détruire !
  • Mais…ils sont trop puissants, comment lutter contre cette armée ?
  • Déesse, que les cendres redeviennent des fleurs, des arbres. La vie reprendra ses droits face à ceux qui veulent la détruire !

Une pensée envahit Elderoden. Il imagine Safinéia adulte, qui se lève pour l’accueillir les bras ouverts. Cela lui donne la volonté de se redresser et de rassembler ses dernières forces.

Talek et ses soldats sont presque sur eux. Le guerrier massacre d’un coup bref les derniers hommes qui tentent de le freiner. La déesse tend les bras et commence à faire tourner ses mains dans une sorte de danse lente.

  • Je ne peux pas, ce n’est pas mon monde, je ne suis pas la déesse de ce monde, je ne suis qu’une femme ici, rien de plus, s’attriste La Mapurna
  • Vous avez l’épée…plantez-là. Elle est la terre, vous êtes la mère de toute vie.

Elle plante l’épée dans le sol et sent le contact de la planète à travers elle. La vie renaît là où elle avait été effacée. La déesse se sent immédiatement en harmonie, comme sur sa propre planète. Elle oublie la guerre en cours, les destructions, la menace. Dans un fracas, la citadelle se redresse, pierre par pierre. Talek arrive devant la déesse. Il regarde derrière lui ce prodige. Devant les murs qui se reconstituent, au loin, un homme seul marche, comme égaré. C’est Fermat, dont il a pourtant tranché la tête quelques heures plus tôt. Ce dernier tient dans sa main un pétale blanc unique, léger, fragile. Il le dépose délicatement à ses pieds. Par la volonté de la déesse, le pétale devient tige, puis arbuste. Elle fait pousser l’arbuste qui se change en arbre d’où grandissent de nombreuses branches qui s’étendent dans le ciel. Des fleurs blanches poussent sur cet arbre et constituent une canopée qui recouvre la plaine, la ville et les collines.

Les soldats sont fascinés par le spectacle de cet arbre géant. ils sont submergés par un sentiment d’insignifiance. Ils laissent tomber leurs armes. Les dragons s’enfuient à tire d’aile retrouver le secret des fonds marins. Fou de rage, Hel se précipite vers la déesse pour la transpercer. Elderoden se place devant elle et reçoit l’épée dans l’abdomen. Talek retire son épée puis s’apprête à renouveler le coup. Il regarde alors la déesse, sa peau blanche, sa chevelure flamboyante, ses yeux clairs, la finesse de ses mains et la grâce de leurs mouvements. Il sait qu’il ne pourra jamais lutter contre sa pureté, sa beauté, la source de toute vie. Il éprouve un amour éperdu. Un amour impossible. Il est paralyzé par son incapacité à l’aimer comme il le devrait et son insignifiance. Il laisse tomber son épée, puis s’agenouille, le visage baissé, les yeux en pleurs. Sa douleur n’aura jamais d’issue.

Les soldats rejoignent leurs vaisseaux. Puis les Talek viennent chercher leur souverain pour le ramener à bord, avant de repartir vers leurs terres.

La Mapurna conduit jusqu’au bout la résurrection des soldats, des villes et des habitants. La reine Fathrage se retrouve face à Fermat, sous l’arbre géant, sans comprendre ce qui s’est réellement passé. Elderoden est toujours étendu, mais sa blessure ne saigne plus.

Lorsque sa tâche est terminée, la déesse tend à Randt l’épée de terre. Axelle parvient au sommet de la colline, l’épée de feu à la main.

  • C’est peut-être ça que vous chercher ? Ca trainait dans le coin…
  • Nous voici avec les deux épées réunies, dit Randt. Cela ne s’est pas produit depuis des millénaires. Tant de pouvoir, que nous ne pouvons pas conserver.
  • Ou bien qu’on garde bien au chaud pour pouvoir les réutiliser. Ca pourrait servir ! répond la jeune femme. Qu’en dites-vous, les marins ? Demande-t-elle aux O’guf’n.
  • C’est une bonne question, répond Kak. Gardez-les pour le moment, nous vous donnerons une réponse très bientôt.

Les jours ont passé. La déesse est repartie chez elle et les O’guf’n sont retournés dans leur village, avec la satisfaction d’avoir trouvé une fois encore la solution à un problème inextricable.

Fermat, accompagné de Randt et Axelle, visitent une dernière fois la salle des stèles, avant de la sceller définitivement. Ils parcourent la grande salle et constatent que l’image s’est transformée. Désormais, elle représente Hel Talek, vaincu, agenouillé et en larmes devant ses vainqueurs et sous un ciel de fleurs blanches.

  • Vraiment, vraiment, c’était un moment très émouvant et très épique, je dois dire ! Et très beau ! Affirme le collectionneur derrière eux en tapant dans ses mains.
  • Vous êtes le fameux collectionneur. Je dois dire que j’étais curieux de vous connaitre ! Lance Randt.
  • Avouez que vous l’aviez prévu, n’est-ce pas ? demande Fermat, suspicieux.
  • Prévu…non, il y a toujours des aléas, le libre-arbitre…mais j’ai bien aimé cette version, cela change un peu !
  • D’où ces petits coups de pouce, hein ? interroge Axelle.
  • Je ne…un coup de pouce ? Je ne vois pas…non, vous avez agi comme il fallait, voilà tout ! Il ricane doucement.
  • Même pas une petite prophétie ou un miracle ? insiste Randt.
  • D’accord, d’accord, reconnaît le petit homme en souriant. J’ai bien mis quelques indices par-ci par-là, mais je ne savais pas si vous pourriez les trouver, ce n’était pas une quête facile vous savez ! Vous avez du mérite ! Déjà, pour délivrer la déesse, quel parcours ! Et puis, c’était moins une ! Non, franchement vous avez été grandiose…grandiose ! Bon, vous, Fermat, au début, j’ai eu des doutes. Mais après…grandiose aussi ! Toutes ces armées, cette furie, la tension dramatique, le suspens ! C’est un épisode qui marquera l’humanité ! 

L’enthousiasme du collectionneur est à son comble.

  • Et maintenant que vous avez eu ce que vous vouliez, ça s’arrête là ? Demande Fermat.
  • Qui sait ? Vous savez, l’Histoire est un mouvement sans fin…