6. Une naissance

Par-delà les roches ciselées des montagnes des Valteurs, siège une forêt immense, dense et infranchissable. Des arbres millénaires aux cimes étourdissantes aiguillonnent le ciel nuageux. De rares gouttes pesantes parviennent jusqu’au sol où l’on pourrait se reposer et contempler ce plafond de branches comme une voûte céleste. De toute éternité, rien ne semble bouger en ce sinistre lieu. Le moindre mouvement se compte en années, pas un vent n’y pénètre, pas une âme n’y vit. Les troncs en sont les maîtres. 

En son cœur, un marais stagne. Une rivière souterraine doit bien circuler en profondeur pour nourrir ces géants immobiles. Cet amas d’eau croupie qui s’assèche imperceptiblement jour après jour en est le rejeton, fils naturel de la rencontre des courants anarchiques et d’une faille dans la terre.

Mais alors que des herbes jaunes tentent de s’y abreuver sans espoir, une forme s’anime et commence à ramper hors de ce lac mourant. Une naissance froide, celle d’un être abject qui s’extirpe d’un ventre stérile. Est-il humain ou animal ? Nul ne saurait l’affirmer, mais il vit, il respire. Il n’est ni enfant, ni adulte. Étendu dans la boue, sur les berges, il ouvre les yeux. Ils sont bleus, ce qui tranche avec la verte noirceur qui l’entoure. 

Un vent parcourt les feuillages au-dessus de lui, comme un frisson. Le vent chargé de parfums amers traverse les vallées pour venir s’éteindre lourdement contre la porte d’une vieille demeure. Une porte frappée par les coups d’un visiteur inattendu…